Pierre et Gabriel sont deux étudiants en droit qui vivent à Paris et se rencontrent dans les années 1980. Peu à peu, ils s’ouvrent et découvrent l’univers de chacun : celui de Gabriel, fils d’un père juif qui s’est suicidé et issu d’un milieu modeste et celui de Pierre, bourgeois, dont la famille cache des secrets inavouables. Chaque week-end, ils se rendent à Villerville dans la maison normande des parents de Pierre.
Une rencontre bouleversante
C’est ici qu’ils vont faire une rencontre bouleversante avec une jeune fille russe, Sveta, qui leur présente ses parents avec qui ils dineront chaque samedi. Cette rencontre hebdomadaire qui revêt une ambiance exaltante changera les deux étudiants à jamais. C’est là qu’ils découvrent l’intelligence du père, les débats, la transgression et leur propre insuffisance. La résistance de ces Russes, les samedis arrosés de vodkas et animés de débats, créent un lien fort entre les deux jeunes hommes. Lorsque brutalement cette famille disparaît, ce lien est détruit. Un éloignement inéluctable se fait alors, vécu par Pierre comme un déchirement et une entrée dans l’âge adulte ; une leçon qui prouve à l’un comme à l’autre que tout ce que nous vivons est éphémère et qu’il faut l’accepter.
« La vie est-elle ainsi faite qu’elle se construit d’abandons successifs et des déchirements qu’ils engendrent ? Et les relations que nous tentons de nouer avec les êtres qui nous entourent sont-elles à ce point éphémères et fragiles qu’elles s’avèrent inutiles ? »
Des vies différentes
Quarante ans plus tard, ils se retrouvent et constatent avoir vécu des vies bien différentes. Si l’un a vécu reclus suite à la découverte des affaires de son père qu’il aurait préféré ignorer, l’autre a commis un acte irréparable, au nom de la justice.
J’ai trouvé la seconde partie du livre beaucoup plus intéressante que la première. Les quarante ans qui séparent ces deux périodes nous permettent de découvrir ce qu’on caché les silences de l’un comme de l’autre. Chacun s’imagine que l’autre a vécu plus heureux alors que ce ne sont que des suppositions. Dans cette histoire, il est beaucoup question de culpabilité, d’héritage de ses ancêtres, de justice et de violence mais aussi des choix de vie que l’on fait. L’évolution des personnages est intéressante, complexe et emprunte de nostalgie.
« Gabriel et Pierre réalisaient ce que pouvait être un débat intellectuel avec un intellectuel. Ils avaient devant eux quelqu’un, de trente ans leur aîné, qui ne cessait de faire fonctionner son cerveau, sans notes, sans préparation, au fil de ses intuitions ou des arguments qu’ils tentaient de lui opposer. Malgré leurs efforts, ils étaient incapables d’endiguer le flot d’idées que ce cerveau produisait. Une pensée sans cesse en mouvement, virevoltant d’un thème à un autre, modifiant les points de vue, ou les prémices de chacune de ses réflexions, procédant à des analogies auxquelles ils n’auraient jamais songé, parvenant à des conclusions qui leurs semblaient définitives, parfois paradoxales, souvent brillantes, la plupart du temps profondes, mais que leur hôte réduisait en cendres après quelques instants seulement. »
« Cette expérience lui avait prouvé que rien de ce que nous vivons, ni aucune de nos certitudes, n’a vocation à se maintenir, mais que tout s’étiole avant de disparaître, et qu’il faut bien s’y résoudre… »