«Où est passée la vie d’avant ? La vie normale ? […] « Ce matin, elle est cette presque vieille, qui songe c’est trop tard. Cinquante-trois ans, ressenti cent cinquante. La vie l’a roulée. »
Anna – ou Olivia ? – a la cinquantaine, est éditrice et s’étonne de l’étrangeté de notre monde moderne. Sa seule certitude c’était Peter, son mari, jusqu’à ce qu’il la trompe et que tout s’écroule. Elle a trois filles, l’une féministe comme l’était sa mère qui refusait les conventions et perd aujourd’hui la tête dans une maison de retraite. Au fil du roman, Anna évoque ses regrets face à la vie dont elle n’a pas su profiter et ses enfants qu’elle n’a pas vu grandir, happée par le quotidien et la fatigue. Heureusement que ses copines sont là pour lui remonter le moral et partager ses déboires entre enfants et maris qui causent bien des soucis.
Elle décrit avec brio la charge mentale des femmes, la condition féminine dans cette société où il ne fait pas bon vieillir, la maternité et ses injonctions, les contradictions de notre époque avec une grande finesse et beaucoup d’humour.
« Courir, c’est la profession des femmes quel que soit leur métier. Mais elles sont trop exténuées pour se rebeller contre l’ordinaire de leur existence. Si elles faisaient la grève du tutu de danse à aller chercher à l’autre bout de Paris et à laver à la main « sinon il sera foutu », prédit la vendeuse avec la gravité d’un général en guerre, la grève des courses au supermarché, de la réunion de parents, et du gratin dauphinois maison, si elles travaillaient juste comme des hommes, en buvant un coup avec les collègues le soir avant de rentrer à la maison, cette vacherie de charge mentale et ménagère et maternelle et conjugale fondrait comme banquise au soleil. Mais la France entière fait grève, sauf les mères. Faute de syndicat ? »
Je me suis étonnée de la véracité de ses observations sur notre société qui ont beaucoup fait écho en moi. Son précédent roman « Avec toutes mes sympathies » m’avait profondément marquée par la justesse de ses propos ; celui-ci ne déroge pas à la règle ! Il est aussi incroyablement bien écrit avec un vocabulaire riche, précis et des talents de conteuse contemporaine inégalés ! De belles réflexions qui interrogent l’évolution de notre monde moderne, à méditer et à apprécier !
« Faire son âge, le péché mortel d’une époque offrant en lot de consolation aux vieilles peaux des modèles de cinquantenaires aux gueules de trentenaires. Mais ne surtout pas céder à la chirurgie esthétique, vulgaire. Ces deux ordres contre nature et contradictoires résument la nouvelle condition féminine, ne faire ni son âge, ni de la chirurgie esthétique, alors quoi ? Fuir les miroirs, se laver les mains dix fois par jour pour échapper au virus en fermant les yeux ? Abdiquer ? S’inscrire sur la liste d’attente des Mimosas ou des Bégonias ? Ordonne-t-on aux hommes d’arrêter de perdre leurs cheveux ? Interdit d’être chauve ! « Notre corps nous appartient », se battait sa mère, notre gueule aussi, avec ou sans rides. »