« S’il te bat, c’est qu’il t’aime », dit un proverbe russe.
Laura Poggioli nous raconte la Russie à travers le prisme des violences domestiques. Elle décrit l’affaire Khatchatourian, l’histoire de trois sœurs ayant tué leur père après des années de violence inouïe. Ce parricide connu dénonce l’impunité inexplicable des violences faites aux femmes dans la Russie actuelle. C’est une affaire qui trouble l’auteur. On comprend aisément pourquoi lorsque Laura mêle ce récit à celui de sa propre existence. Elle relate ses études à Moscou et son amour manifeste pour ce pays et sa culture d’une grande richesse. Son amour pour son compagnon d’autrefois Mitia, qui avait aussi tendance à la battre.
Violences quotidiennes
Il n’est pas toujours facile de lire ce huis clos familial moscovite. Les manipulations et humiliations quotidiennes des sœurs sont bouleversantes et oppressantes. Personne ne devrait avoir à subir cela. C’est fort, violent et parfois insoutenable. Nous vivons au rythme de leur quotidien et procès avec le cœur serré, tout en connaissant l’issue favorable mettant un terme à ce calvaire. Parce que l’éventualité de la prison est beaucoup plus douce qu’un jour de plus dans cet appartement familial.
L’incursion dans ce pays nous permet de découvrir les années Gorbatchev et l’âme russe afin d’expliquer les mentalités actuelles des Russes. Le passé douloureux soumis au totalitarisme explique en partie pourquoi ce pays patriarcal ignore les femmes. De notre œil d’occidental, cela parait insensé. Pourtant, là-bas, les plaintes aux autorités concernant la sphère privée restent lettre morte. On comprend à l’issue de cette lecture le pouvoir cathartique de l’écriture sur l’auteur. Et combien il est difficile de réagir lorsque l’on est sous l’emprise de quelqu’un. Ce premier roman restera une lecture marquante avec une narration intime forte et d’une grande sensibilité. Il fait aussi la part belle à la culture russe, pays que j’affectionne particulièrement.
« Parce que si, en URSS, on avait construit un homme nouveau, il était resté une zone impénétrable à l’intérieur des foyers : à cet endroit seul, les hommes avaient pu continuer à exercer une forme de domination, de pouvoir, avaient gardé l’ascendant sur leur existence. On pouvait tout lui imposer, tout chercher à maîtriser de sa pensée et de ses actes, mais dans les quelques mètres carrés qu’on lui avait donnés dans le komounalka du quartier, l’homme rouge pouvait continuer à frapper sa femme : qui l’en empêcherait ? »