« Est-elle encore dans l’excitation de la victoire, cramponnée au désir d’atteindre les sommets qui les avaient portés si loin avec Friedrich, ou bien vit-elle, dans un autre monde, l’espoir d’échapper à cette vie-là ? Elle sait sûrement qu’elle a tout perdu mais n’en accepte pas l’idée. Seul le déni lui reste. »
La propagandiste, c’est Lucie, la mère de l’auteur. Toute sa vie, elle la passe dans le souvenir de son grand amour Friedrich. Elle s’imaginent aussi qu’ils ont gagné la guerre en combattant aux côtés des Allemands. Longtemps après, elle continue à se réunir avec d’autres femmes qui croient dur comme fer au nazisme. Son histoire nous est racontée par sa propre fille devenue historienne, qui perce les secrets de cette famille collaborationniste. Certains ont tenté par la suite de passer dans le camp des vainqueurs, en apparence du moins.
Durant la seconde guerre mondiale, Lucie était devenue indispensable aux Allemands et rencontrait le Tout Paris collaborationniste. La découverte du nazisme et de Friedrich lui promettaient une ascension fulgurante. Jusqu’à la Libération. Ses années de gloire et d’enthousiasme sont racontées par une femme lucide sur la folie de sa mère. Déjà enfant, elle assistait à des propos révoltants d’un entourage rempli de mauvaise foi. Si Lucie a refait sa vie avec un autre homme et eu quatre enfants, elle aura toujours vécu enfermée dans son passé.
On a l’habitude de parler du quotidien des résistants et peu de celui des collabos. C’est intéressant pour une fois de s’imaginer dans la peau d’une nazie déroutée qui a tout perdu et de découvrir ce témoignage mêlé de fiction. J’ai aimé le style de l’auteur, non dénué d’un humour subtil et cette « exclusivité » nous permettant d’explorer le côté des vaincus.
« En revanche, on ne mentionnait pas que les pourvoyeuses juives, même adultes étaient orphelines.Leurs parents étaient morts, mais comment ? Quand j’insistais, j’obtenais: » morts-en-déportation », terme qui restait pour moi assez vague, à mi- chemin entre » départ » et » transport ». Vers où ? Et pourquoi morts ? Ma mère fit une longue réponse que je compris quasiment pas.Cette information administrative, froide, sonnait comme une évidence. C’était, semble-t-il, la place des juifs.Et les juifs, c’étaient les juifs.
Il n’était bien sûr pas fait mention de » génocide » ou de » shoah », termes que j’ai appris dans les livres.Ces femmes disaient » la guerre », comme si ce terme générique suffisait à rendre compte des existences particulières. »