Aurélien, c’est avant tout une histoire d’amour. Un amour obsessionnel pour Bérénice, même si la première phrase du roman laisse présager le contraire : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. » C’est l’histoire d’un amour improbable et impossible dans le Paris des années folles.
Au milieu des paillettes et des illusions, Aurélien, dandy de retour de la première guerre mondiale, vit une vie de fêtard noctambule avec les femmes qu’il collectionne. Il rencontre Bérénice, à l’opposé de ses conquêtes habituelles : provinciale mariée, émerveillée par la ville de Paris, même pas jolie mais pleine de charme. Il en tombe amoureux et cela le bouleverse. Cela lui fait surtout prendre conscience de la vacuité de son existence de rentier, profondément marquée par la guerre de 1914. Désormais, son amour pour Bérénice deviendra son but quotidien, son obsession.
« Il pensa qu’elle avait déjà envahi son chez lui à la manière d’un parfum. Il essaya de se traduire ce qui se passait d’une façon plus simple. Et plus grossière. Il ne le pouvait pas. Il avait besoin de travestir les choses,de les parer avec des mots, des comparaisons. C’était sa façon de respecter Bénénice. La respecter ? Il haussa les épaules. Qu’elle le voulut ou non, elle était à lui. »
On retrouve forcément dans le roman d’Aragon des airs de Minuit à Paris puisqu’on se situe dans le Paris artistique des années 1920. C’est-à-dire au milieu de la fête, la légèreté et l’oisiveté de l’époque. Rien que la description des décors et le sublime portrait de Paris nous émeuvent. Les personnages grandioses et originaux vivent pour la plupart des amours impossibles et refusent la solitude : entre la prostituée chic, la diva qui refuse de vieillir, l’épouse trompée qui veut continuer à plaire … Finalement on découvre, derrière la légèreté et la beauté du récit, une grande souffrance. Aussi bien la souffrance de l’amour, que celle de la guerre ou de la trahison dont sont victimes de nombreux personnages.
« Ce symptôme est une incapacité totale pour le sujet d’être heureux. Celui qui a le goût de l’absolu peut le savoir ou l’ignorer, être porté par lui à la tête des peuples, au front des armées, ou en être paralysé dans la vie ordinaire, et réduit à un négativisme de quartier ; celui qui a le goût de l’absolu peut être un innocent, un fou, un ambitieux ou un pédant, mais il ne peut pas être heureux. De ce qui ferait son bonheur, il exige toujours davantage. »
Avant la lecture de ce chef-d’œuvre classique, je pensais que l’histoire d’amour entre Aurélien et Bérénice serait heureuse, puisqu’ils sont attirés l’un par l’autre. Au final, leur histoire est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. Et c’est sans doute le fait que cet amour soit impossible qui le rend finalement si beau, si désirable et à la fois si réaliste. Le rêve ne reste-t-il pas finalement qu’une illusion tant qu’il ne se réalise pas et demeure un idéal à atteindre ?
« Mais il faut à l’homme un certain taux de chimères. Il lui faut un rêve pour supporter la réalité. Ce rêve, c’était Bérénice.»