« Vous aurez bientôt tout le temps et le loisir de me condamner. Je vous demande alors de conserver à l’esprit cette phrase toute simple que je tiens de mon père et qu’il utilisait pour minorer les fautes de chacun : « tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » ».
En vérité, il existe autant de manières d’habiter le monde que d’hommes. Ainsi, Paul Hansen, narrateur de cette histoire et superintendant de la résidence l’Excelsior, l’habite à sa façon. Il va jusqu’à réparer les âmes des résidents, les soigner, les accompagner en fin de vie et dépasse nettement son rôle de concierge, parce que pour lui, cela coule de source. D’origine danoise, il a vécu en France et au Canada avant de se retrouver en prison à Montréal pour un motif obscur.
Johanes, son père, pasteur, a perdu la foi depuis bien longtemps et reste un irréductible Danois malgré les années passées en France. Même quand il est absent, il accompagne toujours son fils par la pensée et habite le monde d’une autre manière que lui. Patrick Horton, son compagnon de cellule, ancien Hell’s Angels, possède un statut qui lui vaut le respect de ses pairs et demeure attendrissant malgré tout. Pour lui, le monde se comprend toujours à partir de la seule valeur stable de référence sur terre : la Harley.
La mère de Paul, quant à elle, est très distante et il en parle assez peu. Winona, la compagne de Paul, mi Algonquine mi Irlandaise mi pilote, est consciente de la brièveté de la vie et ne tient pas compte des problèmes subalternes pour vivre pleinement. Avec leur chienne Nouk, ils forment un trio touchant. Kieran Read, résident et ami de Paul, reconnaît qu’il fait un sale boulot au milieu de sales gens, comme probablement Emmanuel Sauvage, directeur de la prison. Et puis il y a Sedgwick, nouveau président de l’Excelsior, inhumain au possible, décrit comme un « salopard incandescent », odieux et infréquentable qui vit le monde d’une manière que l’on peut à peu près imaginer.
Tout au long du roman, la vie en prison et les humiliations liées à la promiscuité carcérale sont interrompues par les souvenirs mélancoliques de Paul, des personnes qui ont compté pour lui. J’avoue que je lui ai trouvé assez peu de suspense et de charme jusqu’à la page 150 et me suis demandée pourquoi il avait obtenu le prix Goncourt 2019. Je voulais tout de même connaître les raisons de l’incarcération de Paul, et fort heureusement, non seulement on finit par le découvrir en poursuivant sa lecture mais en plus, la deuxième partie du livre est bien plus exaltante que la première.
C’est avant tout un roman des injustices et des inégalités, saupoudré de mélancolie. De ce que l’on est prêt à accepter dans la vie ou pas. Comment la vie peut basculer si vite, contre toute attente. En ce sens, il m’a rappelé Article 353 du code pénal de Tanguy Viel que j’ai beaucoup apprécié. C’est finalement l’histoire d’un homme, bien sous tous rapports, qui a enduré tellement d’épreuves qu’un jour, il se révolte. C’est tout simplement humain.