L’amour résiste-t-il à tout ? On aimerait tellement que ce soit le cas !
Cette nouvelle raconte les retrouvailles inabouties entre un homme et une femme qui se sont aimés follement des années auparavant. Louis, jeune homme pauvre et brillant, tombe amoureux de la femme de son patron. Celui-ci l’envoie travailler au Mexique pour développer le commerce et lui y voie une belle opportunité. Les quelques mois initiaux qui devaient le séparer de sa bien-aimée se transforment en années avec l’arrivée de la première guerre mondiale. Lorsque les amants se revoient une décennie après, tout a changé. ILS ont changé. Des obstacles invisibles, des tensions, des vertiges s’immiscent entre eux avec une lourdeur inquiétante.
Zweig maitrise encore et toujours l’art de décortiquer la psychologie de ses personnages avec une grande acuité. Il raconte comment la guerre a détruit la vie de Louis. A quel point la magie de nos souvenirs embellit la réalité. C’est troublant de voir aussi à quel point sa pauvreté passée l’a blessé et lui a valu une aversion pour les signes de richesse. La possibilité de s’affranchir de la misère lui apparait finalement à la fois comme la solution et la cause de son malheur amoureux. A chaque fois que je lis Zweig, je suis agréablement surprise. Par son sens de l’observation, sa sensibilité et les émotions mélancoliques qu’il parvient à nous transmettre.
« Il n’est pas dans la nature humaine de vivre solitaire, de souvenirs et, de même que les plantes, et tous les produits de la terre, ont besoin de la force nutritive du sol et de la lumière du ciel, qu’ils filtrent sans relâche, afin que leurs couleurs ne pâlissent pas et que leur corolle ne perde pas ses pétales en fanant, ainsi, les rêves eux-mêmes, même ceux qui semblent éthérés, doivent se nourrir un peu de sensualité, être soutenus par de la tendresse et des images, sans quoi leur sang se fige et leur luminosité pâlit.[…] Chaque jour consumé dans le travail déposait quelques petites poussières de cendre sur son souvenir ; il rougeoyait encore, comme des braises sous le gril, mais, finalement, la couche grise ne cessait de s’épaissir. Il lui arrivait encore d’exhumer ses lettres, mais leur encre avait pâli, leurs mots n’atteignaient plus son cœur, et un jour, il fut saisi d’effroi en voyant sa photographie, parce qu’il ne pouvait pas se rappeler la couleur de ses yeux. »