Les déracinés, Catherine Bardon

« Ils auraient voulu être déjà de l’autre côté de la frontière, que l’Autriche soit derrière eux, que c’en soit fini une bonne fois pour toutes. C’était un lent déchirement, une séparation qui s’étirait au fil des paysages qui défilaient. Rien ne les avait préparés à cette sensation qu’on les amputait d’une partie d’eux-mêmes. C’était un adieu poignant, silencieux, intime. »

Almah et Wilhelm aiment profondément l’Autriche et la Vienne brillante des années 1930. Pourtant, lorsque survient l’Anschluss puis la montée de l’antisémitisme, en tant que juifs, ils n’ont d’autre choix que de quitter le pays à contrecœur avec leur fils. Un long périple de plus d’un an les contraint à l’exil alors qu’ils ne sont les bienvenus nulle part.

L’exil comme seule alternative

Ils finissent par être accueillis en République Dominicaine où le projet de la Dorsa est mis en place. Il s’agit d’installer des pionniers sur les terres d’une ancienne plantation de bananes abandonnée pour développer le pays. Et même si la perspective de vivre sous la dictature de Trujillo ne les enchante guère, l’hospitalité et la culture dominicaine les accueillent à bras ouverts pour la première fois depuis bien longtemps. Des Juifs de multiples nationalités rejetées par leur pays s’y retrouvent et créent ensemble une communauté agricole fondée sur le collectivisme. Un pays où tout est alors à construire avec de belles promesses d’avenir. La communauté se crée et des liens très forts se tissent au fil des années.

Les déracinés évoquent l’exil forcé et la perte de repères, ponctués de nombreux drames. Ceux-ci sont surmontés par un couple très fort et uni et une résilience hors normes. Jamais la culpabilité d’avoir échappé aux camps et à la mort ne les quittera. Au-delà de la tristesse, les déracinés connaissent aussi des moments de reconstruction, d’espoir et de joie. L’amour de la littérature, de l’écriture – et notamment une déclaration d’amour à Zweig – et de la culture sont omniprésents.

« Mon humeur oscillait entre vague à l’âme, angoisse, optimisme et euphorie. Je voguais vers les Etats-Unis, sur les traces d’illustres compatriotes. Je m’amusais à établir des listes. [… ] Un immense gâchis, une hémorragie de talents qui me donnait la nausée. Je m’interrogeais : quel avenir pour l’Autriche et l’Allemagne saignées à blanc de leurs intellectuels ? Quel avenir pour nous, les pestiférés du XXe siècle, rejetés par tous ? »

Une grande période de l’histoire

J’ai aimé traverser ces grands moments de l’histoire – certains connus, d’autres moins – qui s’étendent de l’Anschluss jusqu’au début de la guerre froide. La découverte de la République Dominicaine, parfois sous forme de récits, parfois sous forme de carnets intimes nous plonge dans les événements et le quotidien de cette communauté avec beaucoup d’intensité et d’horreur. C’est une leçon de résilience porteuse d’espoir.

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