« Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. »
Le Ventre, c’est l’incarnation des Halles centrales de Paris. Le tome 3 des Rougon-Macquart nous y emmène, dans ses étals remplis d’odeurs et de victuailles. Viandes, poissons, fleurs, fruits, fromages, tous les mets sont admirablement décrits par Zola et nous attirent ou nous écœurent.
C’est avant tout l’histoire de Florent, républicain d’une maigreur effrayante, qui s’est échappé du bagne de Cayenne. Il retrouve à Paris son demi-frère Quenu, bien en chair et à la tête d’une charcuterie. Florent devient ensuite inspecteur aux Halles et rapidement dégoûté par les odeurs de poisson, retourne secrètement à ses rêves de République et de justice.
La guerre des Gras et des Maigres
Dès le départ et tout au long du roman, il existe une franche opposition et une rivalité entre les Gras et les Maigres qui se vouent une haine réciproque. Pas de juste milieu, les deux camps sont absolument opposés et on ne peut passer de l’un à l’autre. Les commerçants décrits sont pour la plupart gras et malhonnêtes à l’image des poissonnières prêtes à toutes pour arriver à leur fin. Tandis que les maigres vivent dans la misère et poursuivent un idéal bien différent… Au milieu de tout ça, la Saget, vieille femme dévote, participe aux ragots, rivalités et vengeances incessantes qui traversent les Halles à toute allure.
Par rapport aux autres Rougon-Macquart, ce ne sera pas mon préféré mais j’ai aimé l’ambiance tellement réaliste et les descriptions exquises.Attention, il n’est pas impossible à la fin que l’on soit pratiquement au bord de l’indigestion !
« Les Halles géantes, les nourritures débordantes et fortes, avaient hâté la crise. Elles lui semblaient la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l’empire. Elles mettaient autour de lui des gorges énormes, des reins monstrueux, des faces rondes, comme de continuels arguments contre sa maigreur de martyr, son visage jaune de mécontent. C’était le ventre boutiquier, le ventre de l’honnêteté moyenne, se ballonnant, heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux, que jamais les gens de mœurs paisibles n’avaient engraissé si bellement. »