Houris, Kamel Daoud

« Il y a des choses que Dieu nous interdit : enterrer les morts, gémir sur une tombe, égorger une bête de sacrifice, hériter d’une part égale à celle de l’homme, s’épiler pendant le mois du jeûne, montrer ses bras nus ou encore élever la voix, chanter dans la rue, fumer des cigarettes, boire du vin, répondre aux coups de pied. La route est longue, la liste aussi ? Personne ne croira mon histoire. Comment expliquer que je vais vers la montagne pour te montrer l’endroit où je fus tuée et pour te tuer à mon tour et t’éviter la vie ? »

10 ans de guerre civile sous silence

Aube est une jeune Algérienne muette égorgée pendant la guerre civile d’Algérie. Survivante, elle y a laissé sa famille massacrée et ses cordes vocales. Vingt-ans plus tard, elle raconte son histoire au bébé qu’elle porte dans son ventre, à la fille qu’elle hésite à garder au vu des traitements réservés aux femmes du pays. Seul un retour sur les lieux du drame lui permettra de décider du sort à lui réserver.

C’est une femme libre qui a son propre salon de coiffure, ce qui déplaît aux hommes d’Oran. Et plus particulièrement à l’imam de la mosquée d’en face qu’elle soupçonne d’avoir saccagé son salon. Sa cicatrice effraie autour d’elle tout autant que le pouvoir de rendre les femmes plus belles et plus désirables. Sur son corps, 7 tatouages racontent la guerre injustement tue. A la place de sa gorge, une canule et un sourire monstrueux rappellent ce que tout le monde refuse de reconnaître. Et pourtant, dix années de guerre et 200 000 morts sont difficiles à ignorer.

Une violence inouïe

Ce Goncourt 2024 brise le tabou de la guerre civile algérienne. Cette guerre des années 1990 dont on ignore le début. Qu’on ignore tout court au point qu’elle a totalement disparu des livres d’histoire. Il dénonce les ravages de l’islamisme en Algérie avec des récits effrayants. Les livres condamnés par les islamistes, les massacres sauvagement perpétrés, la terreur personnifiée. Et surtout la difficulté d’être une femme à qui tout est interdit, envers qui les violences sont infinies.

Tout cela nous parvient à travers la voix intérieure d’Aube, qui s’apparente à un monologue. Celui-ci est déstabilisant car, comme toute réflexion personnelle, il est un peu décousu. Il est le reflet de nos pensées intérieures qui divaguent et cherchent à rationaliser, à se souvenir et à oublier à la fois. L’écriture de Kamel Daoud est incroyablement belle et puissante. Elle met en lumière l’enfer vécu par de nombreuses victimes ignorées jusqu’ici et leur rend hommage, ce qui nécessite une bonne dose de courage alors qu’il est menacé et censuré dans son pays.

« Ici ce n’est pas un endroit pour toi, c’est un couloir d’épines que de vivre pour une femme dans ce pays. »

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